Les impatientes • Djaïli Amadou Amal

Comme tout le monde, j’ai beaucoup entendu parler des Impatientes, qui a remporté le Goncourt des Lycéens en 2020, un prix auquel je porte une grande confiance. Il faut dire que j’étais déjà acquise à ce texte puisque le sujet correspond à ceux qui me plaisent en général en littérature, et résonne fortement avec d’autres romans chers à mon coeur : Mille soleils splendides, La perle et la coquille, Le silence d’Isra et tant d’autres !

Résumé …

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin. Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ? Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes.

Mon avis …

Ramla est née au Sahel, au Cameroun, et si elle rêve de faire de longues études et de devenir pharmacienne, il n’en est rien en réalité. Dans sa culture, ce sont les hommes de sa famille (et ils sont nombreux) qui décident de son avenir. En tant que femme, elle doit impérativement se marier et ses seules préoccupations doivent être de tenir le foyer et d’être soumise à son époux. Sa route va croiser celle de Hindou et de Safira, et à travers les destins des trois héroïnes du roman, nous découvrons la réalité des mariages forcés, cette soumission insupportable de la jeune fille à son époux. Souvent, elle n’est pas sa première épouse, et c’est donc également tout le système de polygamie qui nous est décrit. J’ai trouvé que ce roman apportait beaucoup d’informations sur le quotidien des habitants du Sahel, sur leurs coutumes, la place donnée à la religion, le rôle de chaque personne dans une maison, les repas, les injonctions à respecter par les femmes pour tenir le rôle qui est attendu d’elles.

« Il est difficile, le chemin de vie des femmes, ma fille. Ils sont brefs, les moments d’insouciance. Nous n’avons pas de jeunesse. Nous ne connaissons que très peu de joies. Nous ne trouvons le bonheur que là où nous le cultivons. À toi de trouver une solution pour rendre ta vie supportable. Mieux encore, pour rendre ta vie acceptable. C’est ce que j’ai fait, moi, durant toutes ces années. J’ai piétiné mes rêves pour mieux embrasser mes devoirs. »

Ce qui est très intéressant, c’est que l’autrice découpe son roman en trois parties. Les trois destins des héroïnes sont liés, mais pourtant elles sont dans des positions assez différentes les unes des autres. Cela permet de ne mettre qu’encore plus en avant l’absurdité de tous les parcours des femmes qui subissent les mariages forcés, et de voir leurs points communs qui sont souvent cachés derrière leurs différences de statuts. Ce roman est donc fait de violences, qui ne s’arrêtent jamais, d’emprise aussi. Les femmes sont dépendantes des hommes pour les moindres aspects de leur vie : elles assistent en silence au remariage de leur époux, elles n’accèdent à de l’argent que pour les strictes dépenses du ménage, elles se taisent et acceptent tout, parce que c’est là leur rôle.

C’est cru, dur, violent, mais c’est nécessaire pour que la substance du texte nous marque. Pour que l’on réussisse à imaginer ce que cela veut dire qu’être mariée de force alors que l’on est seulement une enfant. Pour que le roman soit un vrai coup de coeur, je crois qu’il aurait fallu qu’il soit un peu plus long. Finalement, l’autrice raconte très rapidement les différentes épreuves que traversent les personnages, et cela joue sur l’émotion ressentie et sur la force du roman. Le sujet est, par ailleurs, tellement important et passionnant qu’il est presque un peu dommage que le livre n’ait pas été un peu plus approfondi.

C’est toujours la même histoire finalement, celle des traditions qui se perpétuent, des femmes qui reproduisent ce qu’elles ont elles-mêmes subi, de ce statut de femme qui est indéniablement une souffrance quotidienne, puisque les femmes ne doivent exister que pour servir les hommes. Par de nombreux aspects, ce roman m’a rappelé d’autres que j’ai pu lire avant lui, comme Le silence d’Isra ou Mille soleils splendides. Ils se complètent, se répondent, vont dans le même sens et ont tous la même importance, celle de dire ce que vivent les femmes dans certains pays. Il est très important à mes yeux de continuer à écrire sur ces sujets qui peuvent sembler d’un autre temps mais qui caractérisent pourtant encore ce que vivent de (trop) nombreuses filles et femmes à travers le monde. Selon son pays de naissance, nous ne sommes pas destinées à la même vie et nous n’avons pas les mêmes droits. L’autrice est bien placée pour le savoir car elle a elle-même subi un mariage forcé et on sent cette rage-là qui transperce les pages, celle de vouloir dire et écrire ce qui se déroule bien souvent derrière les volets des maisons, dans des pays éloignés du nôtre. Elle a créée en 2012 une association : Femmes du Sahel, pour encourager la scolarisation des jeunes filles. Ce livre est engagé, et en quelques pages seulement, il nous marque véritablement.

Pour résumer …

Profondément marquant, ce roman très court raconte trois destins de femmes au coeur du Sahel, liées par les mariages forcés, les violences et la soumission. Une lecture indispensable, qui dénonce autant qu’elle éduque à ce que vivent de nombreuses filles et femmes à travers le monde.

Ma note : ★★★★★★
(18/20)

11 réflexions sur “Les impatientes • Djaïli Amadou Amal

  1. J’aime beaucoup ce style de lecture et je ne connaissais pas celui-ci donc merci pour cette découverte. Parmi ceux qui m’ont marqué, voici deux titres que je te conseille si tu ne les as pas déjà lu « Le voile de la douleur » et « Les bijoux bleus ». Belle fin de journée à toi ☼

  2. Je ne savais pas que c’était la même autrice que le silence d’Isra et Mille Soleils Splendides qui me tentent beaucoup aussi, je le note, car j’adore ce genre de roman et je pense que ça pourrait me plaire, surtout au vu du retour que tu nous proposes 😉

  3. Je suis contente de lire votre billet. J’ai publié le mien le 27 juin dernier. Un roman qui réveille assurément de l’empathie pour ces femmes nées au mauvais endroit. Ça prend un courage infini. C’est important que ces comportement soient dénoncés. Vous en avez fait un très bon résumé. 🙂

  4. J’ai repéré ce livre il y a un moment déjà et je suis très tentée à l’idée de le découvrir. Merci pour cette jolie chronique qui me donne encore plus envie de découvrir cette histoire de femmes…

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