INTERVIEW • Quelques questions à Mathieu Menegaux

Découvert un peu par hasard il y a deux ans avec Je me suis tue, j’ai eu une sorte de révélation pour l’écriture de Mathieu Menegaux. Lire son second roman, Un fils parfait, a donc été une évidence et je suis aujourd’hui très heureuse d’avoir pu l’interviewer. Je tiens à le remercier pour sa gentillesse et le temps qu’il m’a accordé.

1 • Après Je me suis tue, Un fils parfait est votre second roman. Le livre reçoit un excellent accueil auprès du public. Avez-vous ressenti une différence d’accueil entre les deux romans ? La sortie du second a-t-elle permis à certains lecteurs de découvrir votre précédent ouvrage ?
« Un fils parfait » a été dans plus de mains, plus vite, que « Je me suis tue ». Les lecteurs et lectrices de mon premier roman attendaient la sortie du deuxième, et le « buzz » est allé un peu plus vite que pour le premier. « Je me suis tue » est sorti en format poche juste avant la sortie de « Un fils parfait », et cela a permis à beaucoup de nouveaux lecteurs de le découvrir, ce qui leur a donné envie ensuite de lire « Un fils parfait ». La synergie a fonctionné dans les deux sens, et moi je suis à nouveau charmé, flatté et enchanté de lire sur les réseaux sociaux les réactions, les commentaires, les coups de cœur (ou les coups de gueule, ça arrive aussi !) des lecteurs. Cette communauté que permet désormais FB ou Instagram est incroyablement riche pour les auteurs, qui ont les réactions quasiment « en direct » de leurs lecteurs.

2 • Vous êtes un auteur surprenant dans la façon dont vous réussissez à vous placer dans la peau d’une femme. Cela est très percutant, que ce soit dans Je me suis tue ou dans Un fils parfait, notamment parce que vos romans traitent de l’intime, des sentiments profondément féminins et de ce que peut traverser une femme dans des situations extrêmes. Comment réussissez-vous à être si juste dans votre écriture en racontant des femmes ?
Je suis marié depuis plus de vingt ans, j’ai deux filles, je suis cerné par les femmes ! Auparavant, j’ai entretenu de longues correspondances avec des femmes, à l’époque où l’on racontait sa vie en un peu plus de 140 signes, où l’on couchait ses sentiments, ses peurs, ses joies sur des feuilles de papier. En ce temps-là une journée n’avait jamais la même saveur selon qu’une lettre nous attendait ou pas. Ces relations épistolaires m’ont beaucoup éclairé sur le cœur des femmes. Et puis, pour tout vous dire, je crois que j’aurais aimé être une femme, avoir ce côté magique, et le privilège de donner la vie. L’écriture était une occasion unique de me glisser dans la peau d’une femme. Et puis je me fais relire ! J’ai quelques amies proches, qui n’hésitent pas à me dire quand je fais fausse route. Quant à mon éditeur, c’est une éditrice, Martine, que j’appelle la deuxième femme de ma vie. Elle n’hésite pas à rayer un paragraphe en me renvoyant en pleine figure un « mais c’est un truc de mec, ça ! ».

3 • Que ce soit dans votre premier ou dans votre second roman, vous choisissez de porter un regard très critique sur le système judiciaire et pénal français. Pourquoi cette omniprésence de ce sujet dans vos livres ?
Je crois que j’ai été traumatisé par la lecture du « Pull-over rouge » de Gilles Perrault, étant petit. L’histoire de Christian Ranucci, exécuté, guillotiné, sans qu’on ait de vraie preuve formelle de se culpabilité. J’adore les séries judiciaires, les romans policiers, je suis fasciné par cet univers où votre vie peut basculer en une minute, parce que vous avez eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Le film de Claude Miller, « Garde à vue », est un monument, où un bon flic veut faire avouer à un notable qu’il a tué un petit enfant. Il y arrive presque. Et pourtant le notable est innocent… Je ne crois pas que ce ne soit que français, d’ailleurs. Allez, j’avoue, j’avoue tout : j’aurais adoré être avocat, alors comme dans le désir d’être une femme, c’est plus simple de se plonger dans le milieu judiciaire au travers de l’écriture qu’en passant l’examen du barreau !

4 • Vous décidez toujours de partir d’un drame du quotidien, de sortes de « faits divers » pour nous prouver que les affaires que l’on peut entendre dans les médias cachent souvent la vérité, l’intime, les non-dits. Pensez-vous écrire à nouveau sur ces drames qui ne se dévoilent souvent qu’à moitié ?
J’aime bien ce genre d’histoires où c’est ce qu’on trouve derrière les apparences qui est le plus riche et le plus complexe. Dans « Un fils parfait », Daphné se heurte à la justice parce qu’elle crie, qu’elle réagit, qu’elle s’exprime avec violence, et j’essaye de montrer à quel point un dossier mal embarqué peut conduire à une situation ubuesque et dramatique. Au contraire, dans « Je me suis tue », j’essaye de présenter au lecteur le portrait intime d’une femme à laquelle il va s’attacher, pour laquelle il va éprouver de l’empathie. Et pourtant Claire a commis le plus horrible des crimes…A coup sûr c’est la coupable-type sur laquelle pourrait se déverser la haine populaire. Et pourtant son histoire est bien plus compliquée que le résumé qui pourrait en être fait sur les réseaux sociaux !

5 • Il est question de présomption d’innocence et de culpabilité dans vos livres, mais aussi d’apparence, de ce que l’on souhaite cacher pour se préserver. Pensez-vous que la justice est impuissante à connaître la vérité quand les victimes elles-mêmes sont incapables ou trop vulnérables pour s’exprimer ou pour être entendues ? Ou y a-t-il un aveuglement volontaire autour d’elles pour ne pas les entendre, justement ?
Je ne crois pas qu’il y ait une attitude volontaire ou un aveuglement particulier de la justice. Il n’y a que des hommes et des femmes qui essayent de faire leur métier le mieux qu’ils peuvent, dans des conditions souvent difficiles, et des situations inextricables pour lesquels il faudrait infiniment plus de temps, de moyens et d’attention que nous ne pouvons y consacrer collectivement. Alors oui, parfois la justice est bâclée, mais il faut aussi bien se rendre compte qu’il est difficile d’aider des victimes qui s’obstinent à se taire, ou à dissimuler des pans entiers de la vérité. Dr House est confondant de lucidité quand il ne cesse de répéter « everybody lies ».

6 • Vos livres se lisent d’une traite, sans pouvoir les lâcher. Ils ne dévoilent pas tout dès le départ et le lecteur peut sentir une tension monter page après page. Les qualifieriez-vous de thrillers ?
Oui, et je prendrais même ça pour un compliment !

7 • Vous ne mettez pas de barrière dans votre écriture pour traiter des sujets pourtant délicats, voire tabous. Avez-vous parfois eu des difficultés à aller au bout du processus d’écriture d’un livre ? Avez-vous eu envie de vous censurer pour ne pas choquer les lecteurs, ou pensez-vous au contraire qu’il est indispensable de ne pas se censurer pour qu’un livre soit percutant et marque à sa lecture ?
Non, je n’ai jamais réfléchi à me censurer. Je n’ai pas besoin d’en rajouter. Je sais que je traite des sujets sensibles, et que justement il faut contrebalancer par une écriture délicate, des mots choisis, pour que le lecteur imagine la situation, la tension, la détresse psychologique ou l’urgence. Pas besoin de sang, de superlatifs. Les mots du quotidien. On peut percuter, frapper, bousculer, bouleverser sans verser dans le glauque ou le grand-guignol !

6 • Avez-vous déjà des idées concernant un prochain roman ? Y a-t-il des thèmes qui vous tiennent à cœur et sur lesquels vous souhaiteriez écrire ? Comment vous viennent vos idées en tant que romanciers ? D’où part une idée de roman, chez vous ?
J’en ai plusieurs, mais je n’ai pas encore démarré vraiment. Des idées, des situations, des personnages, mais rien de construit à ce stade. C’est un peu toujours comme ça, je réfléchis, j’observe, je me nourris des discussions autour de moi et quand je m’y mets je ne m’arrête plus. Une idée, c’est un rêve, c’est une rencontre, c’est un voyage, c’est une situation, tout est bon pour l’inspiration. Le vrai enjeu maintenant est de savoir si je poursuis dans une veine drame, tension, psychologie ou si j’explore de nouveaux univers, l’aventure, l’amour, le burlesque. Je n’irai pas vers le « feel good », j’ai envie d’écrire ce que j’aime lire !

7 • Pourriez-vous nous dire quels livres ont marqué votre vie et quels sont les romans qui vous ont surpris et transporté dernièrement ?
Je suis un lecteur compulsif, je lis 80 à 100 romans par an. Uniquement des romans, je m’endors si je lis des essais ou des livres de management… Une moitié de polars, et l’autre de la littérature, principalement française. Parmi les classiques, « Le vicomte de Bragelonne », « Les Misérables » « L’assommoir » et « Voyage au bout de la nuit » méritent une mention spéciale. Parmi mes lectures plus récentes, j’ai adoré Yann Queffelec pour la violence des sentiments, Sébastien Japrisot pour l’art du suspens et de l’inattendu et San Antonio pour sa langue. Aujourd’hui, je guette Valentine Goby et Alessandro Barrico. « Un paquebot dans les arbres » et « Mr Gwynn » sont deux merveilles sur lesquelles vos abonné(e)s devraient se précipiter!

Mes chroniques :

Je me suis tue / Un fils parfait

2 réflexions sur “INTERVIEW • Quelques questions à Mathieu Menegaux

  1. J’adore ! Cet interview est vraiment très intéressant, il me donne vraiment envie d’acheter un des livres de l’auteur ! Tu as un préféré entre les deux que tu présentes ?

    J’aime beaucoup la partie sur les lettres, et les femmes. Moi-même j’essaie de renouer des relations épistolaires avec ma famille (ma cousine est motivée, alors voilà un an qu’on s’écrit régulièrement 🙂 et mes amies que je ne vois pas trop souvent ! J’adore l’ambiance que ça confère.

    Merci pour cette jolie découverte, j’ai été ravie de découvrir ton blog, que je trouve très beau et particulièrement soigné 🙂

    A bientôt, je l’espère,
    Cloé et sa bibliothèque,

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