C’est l’été dernier que j’ai lu pour la première fois Léonor de Récondo avec Amours, qu’on ne cessait de me recommander. Lors de cette rentrée littéraire, son nouveau titre était de ceux que j’avais très envie de lire. Parce que son sujet m’interpellait beaucoup.
Résumé …
Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille méticuleusement, tristement. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, volait quelques instants de joie et dansait à corps perdu sera devenue méconnaissable. Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture et dissimulé dans le coffre la mallette contenant ses habits de fête. Il s’apprête à retrouver femme et enfants pour le dîner. Petit garçon, Laurent passait des heures enfermé dans la penderie de sa mère, détestait l’atmosphère virile et la puanteur des vestiaires après les matchs de foot. Puis il a grandi, a rencontré Solange au lycée, il y a vingt ans déjà. Leur complicité a été immédiate, ils se sont mariés, Thomas et Claire sont nés, ils se sont endettés pour acheter leur maison. Solange prenait les initiatives, Laurent les accueillait avec sérénité. Jusqu’à ce que surviennent d’insupportables douleurs, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus réfréner ses envies incontrôlables de toucher de la soie, et que la femme en lui se manifeste impérieusement. De tout cela, il n’a rien dit à Solange. Sa vie va basculer quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois chez eux. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…
Mon avis …
Vous commencez peut-être à le savoir, mais j’aime quand les livres bousculent nos préjugés, dérangent, osent mettre des mots sur des sujets tabous. La transsexualité est sans aucun doute de ces sujets-là. J’étais très curieuse de voir comment Léonor de Récondo allait réussir à se placer dans la peau d’un homme qui se sent femme. Intéressée aussi par son approche de ce sujet particulier. J’ai été bouleversée et profondément émue par ce texte, par la dignité qui en ressort.
L’auteur donne à Laurent une voix, celle d’un homme qui a toujours caché sa véritable identité. Qui a toujours prétendu être quelqu’un qu’il n’était pas. Parce que la société lui a imposé cela. Parce que l’on peut jouer avec les chaussures à talons de sa maman et porter ses robes, jusqu’à ce que cela ne devienne plus acceptable. Parce que faire du foot quand on est un garçon fait partie de la normalité. Parce que tout ce qui dépasse cette ligne dérange, la plupart du temps. Léonor de Récondo nous plonge dans l’intime, dans cette détresse profonde d’avoir l’impression de ne pas avoir le droit d’être soi-même, de ne pouvoir l’être qu’à l’abri des regards, dans des lieux clos et sûrs. Alors qu’il a sa vie bien rangée, Laurent se travestit chaque semaine. Avec cette peur permanente que quelqu’un le surprenne. Avec l’excitation aussi d’avoir ces instants volés à la vie.
« Combien de temps faut-il pour être soi-même ? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n’ont pas à changer de sexe. Combien d’années, de décennies, pour être en adéquation ? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu’elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures. »
Ce que contient aussi ce livre, c’est l’annonce à l’entourage, l’acceptation difficile de la femme, des enfants, de la famille, vis-à-vis de cette réalité qu’ils ont du mal à voir en face. Comment reconnaître que l’on s’est trompé depuis tant d’année sur la personne qui partage notre vie ? C’est aussi la difficulté de soudainement devenir autre dans tous les aspects de sa vie : sociale, professionnelle. Avec bien souvent une incompréhension dans le regard des autres. Cet entourage qui ne veut pas prendre au sérieux cette démarche, qui aimerait qu’il y renonce. Qu’il reste l’homme qu’il a toujours été. Et pourtant, Laurent sait qu’il fait le bon choix, parce qu’il écoute ce que son corps lui dit. Il subit moqueries, insultes, discriminations. Il est prêt pour cela à renoncer à son confort de vie, à voir ses enfants le rejeter, à être licencié. Ce n’est finalement pas un choix qu’il a pris, c’est une évidence qui s’est imposée à lui, un désir profond, vital. Il était important, je crois, d’insister sur cette perception de la société, de l’entourage, du monde autour, car c’est sans aucun doute cela qui rend encore plus difficile le fait de s’assumer tel que l’on est vraiment.
Il est certain que l’auteur a su traiter avec beaucoup de justesse ce thème pourtant très délicat, qu’il est même difficile de comprendre quand on ne l’a pas vécu. Je crois profondément que ce sont des textes comme celui-ci qui permettent à notre société d’évoluer et à nos esprits de s’ouvrir. Léonor de Récondo donne ici un écho à toutes ces personnes qui ont la profonde certitude qu’ils sont nés dans un corps qui n’est pas le leur, et il est tout simplement magnifique de lire un roman si ouvert, si juste et si tolérant.
Pour résumer …
Léonor de Récondo est époustouflante de justesse et d’émotion dans ce récit sur la transsexualité, d’où ressort une grande dignité et une voix donnée à toutes ces personnes qui n’arrivent pas à être qui ils sont.
Ma note : ★★★★★★
(18/20)
C’est un sujet qui doit être très intéressant à lire.
Ce livre fait partie de ma WL de la rentrée littéraire haha ! J’ai vraiment hâte de trouver le temps de le découvrir..
Oh, ce livre a l’air vraiment génial. J’aime aussi beaucoup les livres qui bousculent nos préjugés, celui-ci m’intéresse beaucoup !
Il est dans ma WL (j’avais bien aimé « Amours ») !
Je ne sais pas quels termes sont employés dans le roman, mais on préfère parler de personne transgenre/des transidentités. Et attention, tu écris : « se placer dans la peau d’un homme qui se sent femme » or ce n’est pas juste vu le sujet. Ce serait plutôt « une femme vivant dans un corps d’homme » par exemple 😉
Il me semble que les termes se valent, mais tout est sans doute question de point de vue. Au début du roman, Laurent est perçu comme un homme, or il se sent femme. Voilà ce que ma phrase signifiait, et je pense qu’elle est correcte. On peut jouer sur les mots, mais même si le sujet est sensible, je pense que beaucoup de termes peuvent vouloir désigner une même situation sans pour autant que ça alterne sa signification réelle…
« Transgenre » est mieux perçu par une grande partie de la communauté car il n’y a pas de changement de genre : née femme dans un corps d’homme mais reste bien femme, et inversement. Alors que « transexuel.le » évoque plus un changement de sexe (sexe = biologique, genre = identité ; ça va au delà du sexe définit à la naissance).
Dans ce cas, tu peux parler de la perception d’autrui car là ça semble plus une affirmation vis-à-vis du personnage plutôt que de ce que pensent les autres (je sais pas si c’est très clair?).
Je comprends la nuance et elle peut s’entendre, merci en tout cas pour tes réactions 🙂 C’est un sujet que je ne maitrise pas entièrement, y étant assez extérieure mais il m’intéresse beaucoup.
Quand j’étais à la fac (bon, ça remonte…), j’étais dans une asso queer 🙂
Je l’ai acheté hier !!!
J’ai vu qu’il était sélectionné pour le Prix du Roman des Etudiants (France Culture et Télérama). J’espère avoir l’occasion de le lire si j’y reparticipe !
Je me le suis offert, je n’ai jamais lu l’auteure mais ce sujet m’intéresse énormément n’ayant jamais lu de livres qui le traitait.