Landfall est sorti il y a un an chez Gallmeister et c’est un roman que j’avais beaucoup aimé. L’auteur étant très accessible, j’ai pu échanger avec elle sur internet et lui poser quelques questions sur son roman. Merci à elle d’avoir accepté de réaliser cet interview et merci à la maison d’édition pour leur accompagnement dans ce projet.
• Ellen Urbani •
Ellen Urbani a fait partie des Peace Corps au Guatemala de 1991 à 1993, avant de rentrer aux États-Unis finir ses études de thérapie par l’art. Spécialisée dans les traumatismes liés à la survie, elle a travaillé pour le département de la santé sur les répercussions émotionnelles dues à la maladie et aux catastrophes. Son premier livre paru en 2006 relate son expérience au Guatemala, alors que le pays était en guerre. Elle est désormais installée dans une ferme à côté de Portland, dans l’Oregon, avec son mari et deux jeunes enfants. (Source : éditeur)
• Interview •
1- Landfall a récemment été publié en France. Vous attendiez-vous à une publication française du roman ou cela était-il une grande surprise pour vous ? Comment avez-vous réagi quand vous l’avez appris et comment s’est déroulée votre tournée en France ? Avez-vous apprécié de venir en France et de rencontrer vos lecteurs français ?
La publication de mon roman en français a définitivement été une bonne surprise. Le fait d’avoir son roman publié dans son propre pays et dans sa propre langue est déjà une tâche tellement intimidante que j’ai difficilement osé rêver que mon travail pourrait avoir une vie en dehors des Etats-Unis. J’ai également imaginé qu’un roman comme Landfall, avec tant d’expressions familières, de dialectes, de dialogues, rendrait la traduction particulièrement difficile. L’une des joies de ma tournée française a été de passer une soirée avec la traductrice, Juliane Nivelt. J’ai entendu tellement d’éloges au sujet de ses traductions et de son travail, et j’ai pu lui demander comment elle avait procédé et évoqué son processus de traduction, ses inquiétudes et le résultat. La version française lui doit autant qu’à moi, elle est le résultat de notre travail collectif. J’ai beaucoup d’admiration pour son talent et sa ténacité.
2. Votre roman évoque plusieurs sujets différents. Comment les avez-vous choisis ? Aviez-vous commencé à écrire sur un aspect en particulier et les autres aspects du roman vous sont-ils apparus ensuite, ou aviez-vous prévu dès le départ d’écrire sur chacun d’entre eux ?
Vous avez raison quand vous dites que Landfall couvre un grand nombres de sujets et d’aspects sur le terrain psychologique. D’une certaine façon, c’est une histoire sur les relations humains : à propos de la façon universelle dont nous sommes souvent incompris des personnes dont nous sommes les plus proches. C’est aussi l’histoire d’un ouragan, mais pas seulement : c’est également un portrait de la façon dont le traumatisme peut nous affecter, et le rappel du fait que nos connexions avec les personnes qui nous entourent est la ressource la plus vitale que nous ayons pour repousser l’impact persistant du traumatisme. Au-delà de ça, c’est un roman sur la maturité, pas seulement de deux jeunes filles, mais aussi d’un pays qui doit faire face aux effets persistants de l’esclavage, du racisme, de la ségrégation. Ce sont beaucoup de sujets à évoquer dans un seul livre, mais je l’ai souhaité comme cela, parce qu’il arrive rarement que les leçons viennent à nous une seule à la fois, la plupart du temps, chaque expérience nous apprend beaucoup de choses à la fois. C’est l’aspiration la plus grande que j’ai eu, qu’à la fin, Landfall resterait comme une histoire sur la résistance, l’amour, et l’espoir … et le pouvoir de chacun de changer le monde des autres pour qu’il soit meilleur.
3. En lisant Landfall, j’ai été particulièrement émue par la relation mère/fille au centre du roman. Leurs relations sont parfois compliquées mais aussi très fortes. Le sont-elles parce que leurs mères les ont élevées seules ?
Il est facile de regarder les mères célibataires et de se les représenter fortes puisqu’elles doivent, seules, remplir tous les rôles parentaux dans la vie d’un enfant : le soigner, subvenir à ses besoins, le nourrir, le protéger, être son professeur et son confident. Ayant été moi-même une mère célibataire pendant plusieurs années, je sais que cela peut créer des liens très forts entre l’enfant et la mère. Et pourtant, je crois qu’il y a beaucoup de femmes mariées ou en couple qui font tout à fait la même chose : entièrement prendre soin de leur enfant pendant qu’elles sont également présentes pour les hommes qui luttent pour remplir leurs obligations. C’est quelque chose de rare et de béni en effet, du moins d’après mon expérience, de trouver des familles dans lesquelles il y a deux partenaires adultes matures qui contribuent de façon égale à entretenir leur maison et leur famille. C’est quelque chose de merveilleux à laquelle aspirer, mais en même temps, je m’incline devant toutes ces femmes qui assument seules les besoins de leurs enfants. Les femmes qui pendant qu’elles font cela, portent le poids du monde sur leurs épaules.
4. Le roman raconte comment Rose essaie de découvrir la vérité au sujet de la jeune fille tuée dans l’accident au début du roman. On a la sensation que c’est la chose la plus importante pour elle. Comment expliquez-vous ce besoin vital qu’a Rose de découvrir cette vérité concernant Rosy ?
Nous sommes tous à la recherche d’un objectif dans nos vies. Nous voulons que nos vies, et les vies d’autres personnes autour de nous, aient un sens. Nous ne voulons pas mourir – ou tuer – inutilement. C’est pour cela que Rose a besoin de « trouver » Rosy, pour cela qu’elle a besoin de l’identifier et de permettre à sa famille de savoir ce qui lui est arrivée. Pour cela, Rose doit expier ses fautes et donner du sens à sa connexion avec une jeune fille qu’elle n’a jamais connue mais dont elle a changé la vie.
5. L’ouragan Katrina a une place importante dans le roman également. On a l’impression de se trouver nous-même au coeur de cet ouragan et c’est parfois difficile à lire. Etait-ce compliqué à écrire ? J’imagine que vous n’avez pas vécu vous-même cette catastrophe, comment avez-vous réussi à écrire à ce sujet et à vous assurer que votre roman soit fidèle aux évènements ?
D’une certaine façon, Landfall est deux romans : une non-fiction à propos de l’ouragan Katrina et une fiction à propos de deux familles coincées dans la tempête. En tant que conseillère de deuil et de traumatisme, je comprends ce que ces familles ont pu vivre, émotionnellement et psychologiquement. En tant que survivante d’autres types de désastres, je sais ce que veut dire la terreur. Le reste est venu de toutes les heures – vraiment de toutes les nombreuses heures – de recherches approfondies.
6. Quel est votre personnage préféré du roman ? Vous sentez-vous plus proche de Rosy ou de Rose ?
Pendant que j’écrivais, j’ai donné à Rosy les pulsions de mon propre coeur. Incontestablement, elle est mon personnage préféré du roman.
7. Avez-vous déjà une nouvelle histoire en tête ? Sur quels sujets aimeriez-vous écrire dans vos prochains romans ?
Dans mon esprit, je suis déjà en train d’écrire mon nouveau roman. D’une certaine façon, cela a été subtilement influencé par mon voyage en France. Pendant la tournée pour Landfall en France, on me demandait toujours si j’étais une féministe, si je me considérais comme une auteur féministe. Je crois que cela était dû au fait que mon roman était centré sur des femmes : fortes, seules dans le monde, persévérantes en dépit des grands obstacles auxquels elles faisaient face. De façon intéressante, personne ne m’avait jamais posé cette question aux Etats-Unis. Ici, je suppose que chaque personne qui croit à l’égalité des droits de l’homme est considérée comme féministe. Que chaque personne éduquée et morale qui croit et serait capable de se battre pour l’accès des femmes à l’éducation, pour les droits des travailleurs, pour le droit à la santé et pour l’autonomie de chacun est féministe. Etre considéré comme féministe, dans les cercles sociaux dans lesquels j’évolue, est un véritable éloge. Mais j’ai bien conscience que dans certains cercles, certains aspects de la société américaine où il appartient aux gens (majoritairement des hommes blancs) de limiter les droits des femmes, où les hommes sont menacés pour leurs idées de considérer la femme comme égale à l’homme au sein du couple, il est certain que les féministes ont été étiquetés de façon péjorative : de façon ardente plutôt que déterminée, stridente plutôt que franche, à la recherche du pouvoir plutôt qu’ambitieuse, hystérique plutôt que justement indignée. Déterminée, franche, ambitieuse, indignée : ce sont les mots que les hommes admirent en général, alors que les hommes évitent les femmes. Cela doit changer.
Alors, à la question des français, je réponds : « Absolument, je suis féministe ! Ne l’êtes-vous pas? Ne devrions-nous pas tous l’être ? ». Et c’est vraiment l’angle et la thématique que je souhaite construire pour mon prochain roman, grâce aux lecteurs français de Landfall et à leur façon de m’avoir rappelé combien il est important de construire des histoires au temps présent, comme les mythes au sujet des traditions, et autour de sujets qui peuvent nous guider dans la direction que nous devons rechercher. Il y aura des générations de femmes fortes et pionnières dans mon prochain roman, construisant des vies aux côtés d’hommes qui les aiment pour cela.
8. Fannie Flagg a recommandé votre roman. Qu’est-ce que cela fait d’être soutenue par une auteur comme elle ? Aimez-vous ses romans ?
Fannie est vraiment adorable d’avoir recommandé mon roman si gentiment. Je crois que les sud-américains l’apprécient, et Pat Conroy, qui a soutenu mon roman depuis le premier jour, est très largement responsable de l’accueil positif qu’a eu Landfall. Je leur dois, à eux et à tant d’autres, une grosse dette de gratitude. Ils m’ont honoré avec leur provenance, leurs mots et leur amitié.
9. Quels romans ou auteurs vous ont inspiré dans votre écriture ?
Je suis inspirée d’une façon inconditionnelle par des auteurs comme Geraldine Brooks, Pat Barker, Anne Fadiman, Alice Walker, et Alice Sebold. Mais je suis aussi inspirée par le fait d’atteindre le haut d’une montagne après une longue et fatiguante marche, par le fait de nager contre le courant dans une rivière très puissante, par le rire de mes enfants mêlé au son de l’âne qui brait et du cheval qui hennit, des chiens qui aboient dans notre cour, par la chaleur de la main de mon mari. Les bons livres reflètent les belles vies. Je suis reconnaissante pour tout cela à la fois.
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Merci à Ellen Urbani !
Landfall est disponible chez Gallmeister.
Vous pouvez suivre l’auteur sur sa page facebook.
Merci pour le partage de cette belle interview.
Merci pour cet entretien, j’ai très envie de le lire !
Merci pour cette interview ! J’avais moi aussi adoré ce roman et j’avais été très touchée par la question de la relation mère-fille, qui est au coeur de celui-ci. J’ai hâte de lire son prochain roman !
Je viens de finir Landfall et ce livre m’a vraiment touché. Les relations mère-fille sont complexes et bien tournées. On a vraiment l’impression d’être au cœur de l’ouragan, j’étais très jeune à l’époque et avait suivi cette histoire de loin, en lisant ce récit, je me suis rendue compte de toute l’horreur de cette catastrophe. Enfin, j’aime beaucoup le personnage de Rosy qui est à mille lieues des clichés qu’on peut parfois voir sur les personnes racisées dans la littérature. Je ne connaissais pas ce blog, je vais en profiter pour lire vos chroniques.
Encore merci pour cette interview !